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leçon que présente ce manuscrit était un abrégé[1], et que « toute la substance du roman est contenue dans ce volume, dont l’écriture change au f°. 178. » En y regardant plus attentivement on verra qu’il s’en faut de beaucoup que ce volume contienne tout le roman. Je n’ai à m’occuper que des 177 premiers feuillets parce que non-seulement les vingt derniers[2] sont d’une autre main, mais appartiennent à un manuscrit évidemment d’un siècle postérieur à celui dans lequel ils ont été insérés. Or, ces 177 feuillets ne contiennent qu’environ le quart du roman, puisque le feuillet 177 correspond au 73e du manuscrit précédent. Du reste, ce manuscrit, dans lequel j’ai signalé deux lacunes[3], ne doit pas, selon moi, avoir contenu une leçon abrégée ; il me semble au contraire qu’il a été plus complet que le manuserit B[4]. Il est d’une orthographe bien plus correcte que

  1. Les Manusc. franc. Tom. 6, p. 127.
  2. Ils contiennent la dernière partie de la Quête du Saint-Graal et finissent par ces mots : « Ci fine le Saint-Graal, et parole de la mort le roy Artu. »
  3. Entre les fos. 18-19 et 72-73.
  4. Voici les raisons qui me font porter ce jugement. Jusqu’au f°. 176, correspondant au B f°. 73 v°. la leçon des deux manuscrits est absolument la-même : ici l’on remarque une différence.
    La reine Genièvre est accusée de ne pas être la personne pour qui elle se fait passer, mais de s’être substituée par fraude à la femme légitime, en lui prenant ses droits et son nom. Cette accusation est portée par un chevalier appelé Berthelais, qui produit une jeune fille qu’il prétend être la vraie femme d’Artus. La malheureuse Genièvre est condamnée, et l’arrêt porte (A. f°. 174 v°.) « que cele Guannièvre qui là est doit avoir les treces colpées à tot le cuir, porce qu’ele se fist reïne et porta corone desus son chief qu’ele ne déust pas porter ; et après si aura les mains esco rchiées pardedanz porce qu’eles furent sacrées et enointes que nules mains de fames ne doivent estre, se rois ne l’a esposée bien et leiaument en sainte église : et puis si sera traînée parmi ceste vile, qui est li chiés del’reiaume, porce que par murtre et par traïson a esté en si grant honor ; et après tot ce sera arse et la poudre vantée, si que la novelle corre par totes terres de la justise qui faite en sera, et que nule jamais ne soit si hardie qui de si grant chose s’entremete. Et porce que nos savons de voir que ele en est corpable et que nus ne l’an devrait estre garanz, si avons esgardé et jugié qu’il covandra que cil qui deffandre la voudra de ceste desleiauté s’an conbatra toz seus a trois chevaliers, les meillors que ceste dame-ci porra trover en tote sa terre. »
    Lancelot combat pour sa dame et tue ses trois adversaires ; et le MS. A. continue de cette manière :
    (N°. 7185. f°. 176. r°. a.) « Ensin a Lanceloz la dame délivrée : si en ont moult grant joie tuit li prodome. Et lors vienent devant lo roi si li quièrent qu’il li fare droit de la damoiselle, comme cele qui est encheoite et provée de son forfait. Et li rois qui plus n’en ose faire respont que si fera-il volontiers. Maintenant mande que l’an la preigne entre li et Bertelai et soient amené avant, car il velt orandroit sanz plus atandre, que il soient jugié entr’aus deus et reçoivent lor déserte tele com il l’ont déservie. Lors furent endui amené devant lo roi : si plore la damoiselle moult tandrement, car bien voit que plus ne puet sa mauvaitiez estre célée. Si vient devant la reïne jointes mains, et li conoist sa desleiauté, oiant toz. Et qant li rois l’ot si est moult eshahiz, et regarde Berthelay, si li demande comment il s’osa entremetre de porchacier tel félonie ? Et Berthelais respont que il l’an conoistra la vérité de chief en chief. — « Il est voirs, fait-il, que ge trovai ceste damoiselle en une maison de réligion, et por la grant biauté dont je la vi, si enquis et demandai qui ele estoit, car moult sanbloit estre de hautes genz ; mais onques ne trovai que vérité m’en séust dire, nè ele méismes n’en savoit rien fors tant que au la maison avoit esté moult longuement. Et ge en oi moult grant pitié porce que de si grant biauté estoit, et li dis sanz faille que se ele voloit errer à mon consoil et faire ce que ge li conseilleroie, ge feroie tant que ele serait la plus haute fame del’monde. Et ele me demanda comment ? Et ge dis que porchaceroie tant que vos la prendriez à fame et départeriez de la reïne qui ci est. Et qant ele oï ce si dist que se gel’pooie faire ele feroit ma volenté outréement — et me jura sor sainz que à toz les jorz de ma vie seroie sires de son pooir. »