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Tullie.

Je pris d’abord les couvertures qu’Oronte avoit jettées au pied du lit ; & j’en couvris ſa nudité, & la mienne : car j’avois honte dans cet équipage aux yeux de ma mere ; je n’avois pas tant d’égard pour Angélique, car nous nous connoiſſions comme toi & moi. Ma mere m’embraſſa, puis en s’adreſſant à Oronte : Mon fils, dit-elle, que vous avez bien combattu ! vous êtes un héros ; les cris de ma fille ſont des témoins. irrévocables de ſa défaite : je vous congratule de votre victoire ; ſi vous n’aviez pas vaincu, Tullie auroit été veuve, quoique mariée. Angélique s’étoit cependant jettée à mon col, & me donnoit mille baiſers, les larmes aux yeux. Ah ! ma pauvre enfant, me diſoit-elle tout bas, qu’Oronte t’a maltraitée ! c’eſt un vrai boucher. Toutes les fois que je t’entendois crier ſi fort, je le maudiſſois de tout mon cœur ; mais, dis-moi, comment te portes-tu ? Fort bien, lui dis-je ; & enfin, après tant de travaux & tant de cruelles douleurs, j’ai goûté ce grand plaiſir, qui fait tout le bonheur de la vie. Es-tu femme ? ajouta-t-elle. Oui je la ſuis, ma mignonne ; & quand je repaſſe dans mon eſprit les grands biens qui nous viennent de perdre