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put réprimer et ce fut avec une figure décontenancée qu’elle salua : « Ah ! c’est le docteur Verneuil… »

Ils s’étaient vus et souvent rencontrés à travers les rues étroites de leur petit village, toujours avec une certaine contrainte qui faisait leurs regards se fuir cependant, mais ils n’avaient jamais échangé une parole.

— « Et c’est mademoiselle Jacqueline… si je prends pour formule de présentation l’appel que vient de vous jeter votre vieille Marianne » s’empressa de reprendre le docteur en saluant à son tour avec embarras… « J’aurais pourtant voulu l’en détourner… car je suis fâché qu’on vous ait si inutilement dérangée… pour moi. »

« Pour moi… » Verneuil avait-il appuyé à dessein ? ou les mots avaient-ils d’eux-mêmes pris un relief inattendu par la seule contexture de la phrase ? lui-même n’aurait pu le dire, mais il perçut dans le silence gêné qui s’ensuivit que ces mots avaient en quelque sorte tranché sur le reste, et comme pour les rattraper : « J’aurais voulu simplement… »

Mais Jacqueline le prévenant avec une finesse d’expression indifférente et divinatoire à la fois : « Pour vous ? Est-ce qu’on me dérange plus inutilement pour vous que pour les autres… ? »

Ils ne s’étaient jamais parlé, il est vrai, mais d’autres avaient tant parlé pour eux, n’est-ce pas, dans leur village ; le commérage s’entêtait à les rapprocher dans tant de projets et de démarches qu’ils sentirent tout à coup combien déjà profondément ils se connaissaient, et que le malaise commun dont ils ten-