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Oh ! ces regrets de buveur, ils sont toujours attendrissants, même quand celui qui les exhale ne mérite aucune pitié ! Et Lucas savait les envelopper, lui, dans une si touchante sincérité de repentir qu’on se sentait tout de suite disposé à ne pas tant l’accuser après tout.

Il s’analysait alors lui-même sous tous ses aspects, scrutait sa manière d’être, chacune de ses impulsions ; il faisait en quelque sorte le démontage du mécanisme qui le faisait mouvoir, sans jamais aboutir toutefois à se blâmer de son manque de volonté. Aussi, quand il déplorait les chagrins qu’il semait autour de lui, les paroles amères qui lui montaient alors aux lèvres n’étaient pas pour se châtier de sa propre lâcheté, elles étaient pour dénoncer brutalement la partialité du Destin, assaillir les heureux auxquels la vie n’avait pas, comme à lui, rivé un pareil boulet à traîner.

— « Et l’on prétend que je serai encore puni plus tard, » disait-il à Yves, les lèvres prêtes à protester. « Mais c’est toi, c’est vous, les chançards, qui n’êtes point constitués avec, dans le sang, ce mauvais philtre qui donne le vertige et vous empoigne tout à coup comme une main pour vous tirer au cabaret ; c’est vous qui le serez punis. »

Bien que Yves ne lui eut, à la vérité, rien dit, adressé nul reproche, Lucas percevait que le souvenir seul de ce qu’il avait fait la veille suffisait à l’accuser et à le condamner, et il s’entêtait à se défendre :

— « Crois-tu que je n’essaie pas de lutter ? Et je lutte en effet, longtemps, longtemps. Je me dis que