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presque les mains dans les siennes, dans son ardente sincérité à me faire tout analyser, et comme si pour me mettre en garde, il eut voulu évoquer quelque terrifiant spectacle. Je n’ai pas eu peur cependant ; j’ai accepté froidement les risques. J’ai pensé de toute mon âme, moi aussi, que je l’aimerais toujours assez pour pouvoir tout lui pardonner. Je n’ai pas failli jusqu’ici, » et souriant d’un visage triste : « Tu le vois bien, Jacqueline, puisque je pense tout de suite à lui réserver pour demain sa part de tire, » ajouta-t-elle tendrement en faisant le partage des plats.

Il s’en suivit un long silence gêné que des mots de reproche et des pas lourds sur le perron vinrent rompre tout à coup.

— « Quelqu’un, » s’exclama Jacqueline alarmée, en se précipitant vers Marcelle.

— « Oui, moi ; n’ayez point peur… Ah ! c’est vous, mademoiselle Jacqueline. »

C’était Lucas qui entrait en faisant violemment céder la porte et en cherchant à se dégager des mains de Yves. Par orgueil pour Marcelle autant que pour lui-même, il s’était raidi de toute sa volonté en reconnaissant Jacqueline. Quant à Yves, toujours un peu sauvage, il s’était discrètement éloigné de lui de quelques pas. Mais en dépit des efforts que Lucas faisait pour ne rien laisser paraître de son état, tout son aspect physique le trahissait à ce moment : son regard égaré, des couettes de cheveux collées au front, sa cravate dénouée et battant les revers de son habit,