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…Attentives toutes deux, une cuiller à la main, elles surveillent maintenant l’ébullition et la cuisson du sirop. Elles en suivent avec intérêt les phases rapides : les buées flottantes du début ; l’écume argentée, dorée, qui bientôt envahit et recouvre entièrement le liquide, pour fuir tout de suite au pourtour du récipient, chassée vers les parois, d’abord par de petites bulles craintives et intermittentes, puis par de gros bouillons précipités qui viennent, comme en éructant, crever partout à la surface et saturer l’atmosphère du plus suave des parfums.

Et déjà c’est le moment arrivé des « toques sur la neige », de la tire chaude à distendre et à replier, comme des écheveaux de soie crème, avec de grands mouvements rythmés des bras et des mains.

Et rien qu’elles deux, Marcelle et Jacqueline, pour se partager une pareille joie ; rien qu’elles deux pour jouir d’un tel spectacle et prendre part à une aussi douce fête ! Vraiment elles en ressentent du chagrin.

Le charme à la fois naïf et profond qu’elles éprouvent à voir ainsi flamber l’âtre, à manier la crémaillère, à croquer les toques dorées, à entendre le choc cristallin des croquettes de tire sur les plats, ce charme, il leur semble presque égoïste et vilain d’être seules à se le partager.

— « Si j’avais su, j’aurais averti et retenu Lucas à la maison, » et après un moment d’arrêt… « cela lui aurait fourni l’occasion de te rencontrer et de jouir de nos folies de ce soir ; depuis si longtemps que je lui