Page:Choquette - La Terre, 1916.djvu/56

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 59 —

pièce d’avoine aperçue le long de la route, quelque beau troupeau, quelqu’une de ces scènes champêtres si propres à le ravir dans son âme de paysan, c’était toujours l’image de son enfant, seul sur les pierres froides et cachant ses larmes sous sa livrée d’écolier, qui surgissait dans son esprit. Il n’avait pas prévu également que l’absence de Yves creuserait un tel vide à la maison et que sa vieille compagne et son autre fils Lucas en seraient si longtemps comme désorientés. Sa ferme elle-même n’offrait-elle pas un plus triste aspect, à l’heure surtout du retour des vaches, le soir ; car c’était Yves, étant le plus jeune, qui, en compagnie de son chien, faisait généralement le rabattage du troupeau, à l’aide de grands appels prolongés qu’il prenait plaisir à entendre répercuter sur les flancs de la montagne.

Qu’importe, c’était la vie, après tout, que cette constante brisure du foyer. Les deux pauvres vieux en avaient ressenti plus vivement et plus longtemps la tristesse, cette fois, vu que c’était le Benjamin — le plus cher toujours au nid familial — qui les avait quittés ; mais ils s’y étaient peu à peu conformés et le temps avait fini par jeter sur eux comme sur toutes les choses son leurre apaisant.

Quant à Yves lui-même, tout ce qu’il avait abandonné au foyer, le poursuivit longtemps avec une acuité de souvenir qu’il trouvait tout de même bon d’entretenir. Les mille petites scènes champêtres, que l’incomparable soleil d’automne dore d’un charme particulier, à cette époque, tout le long du Richelieu, se ravivaient avec, une ardente intensité dans