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chées dans les poutres de la charpente. Elle en essaie d’abord une, la plus petite, qu’elle juge d’un maniement plus facile ; mais comme elle s’aperçoit bientôt qu’elle ne lui sert qu’à éparpiller maladroitement le fourrage en chemin, c’est à ses bras simplement qu’elle décide de recourir.

Qu’importe que la paille lui mordille la peau, elle éprouve bientôt une véritable joie intime qui pour la première fois et d’une manière imprévue lui révèle jusque au fond la part intérêt qu’elle est tenue d’apporter à la régie de la ferme.

Jusqu’ici, elle n’avait rien senti de la solidarité qui l’unissait à Lucas. Elle était mariée à un « habitant », elle n’était pas devenue « femme d’habitant ». Dans son esprit, c’était à Lucas seul qu’appartenaient la ferme, les troupeaux, les pâturages, les récoltes, le lait des vaches, les boisseaux de grain, tout. Certes, elle se sentait toujours heureuse ou chagrine, suivant qu’elle l’entendait se réjouir ou s’attrister du résultat de ses travaux ou du produit de la moisson, mais c’était simplement parce que elle l’adorait et s’intéressait à lui. Quant aux choses de la terre, quant à cet état d’âme qui sature et caractérise le travailleur du sol, elle y était demeurée étrangère.

Mais à ce moment-là, en soignant elle-même les bestiaux, elle perçut qu’ils lui appartenaient également, et qu’elle les aimait. Elle devinait aussi qu’elle ne rendait pas simplement service à Lucas en exécutant une partie de son travail, mais qu’elle s’associait à lui.