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comme pour se conserver toujours vivants, toujours chauds. On ose pourtant les faire disparaître aujourd’hui de nos vieilles maisons de campagne, ces attendrissantes cheminées. On ose porter sur elles des mains sacrilèges et brutales pour en arracher une à une les pierres et les éparpiller au hasard. Mais c’est tout l’âme de ces maisons que l’on arrache alors, et si seulement l’on écoutait, l’on entendrait leurs soupirs à travers les lézardes.

— « Toi, Marcelle, tu ne permettras jamais pareille profanation, n’est-ce pas ? » ajouta Jacqueline.

Et elle se mit à examiner tout dans la vieille demeure : les lourds murs de pierres des champs, solides encore comme des bastions, les étroites fenêtres qui s’y encastraient, les solives en relief des plafonds, les portes, portant encore aux rebords de l’encadrure les entailles nombreuses à l’aide desquelles on avait successivement marqué les changements de taille de toute la lignée des de Beaumont.

— « Tiens, voici la coche qui indiquait la stature de Lucas, à treize ans… Voici celle de Yves, à douze ans, parait-il. »

— « Et dire que j’aurai bientôt à en ajouter une pour celui-là, » acheva Marcelle en désignant son enfant endormi. « C’est si vite écoulé, le temps… si vite. »

Fut-ce une vision lointaine de ses jeunes années qui accourut à ce moment l’assaillir ? Fut-ce plutôt la vision subite, toujours si troublante pour les mères, des années encore inconnues de son enfant, fut-