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mant de raideur militaire dans son allure, et rougissant un peu, comme s’il eut porté dans sa pensée un rêve qu’il ne voulait pas répandre, s’empresse d’accourir.

Cependant le docteur, malgré les insistances dont on le presse, refuse avec douceur de quitter son banc rustique. De la main il fait signe qu’il se trouve bien là, sous les arbres. Il respire avec effort et son chapeau enlevé, — malgré l’air déjà frais de ces jours d’automne — son bâton de route tombé parmi les feuilles mortes, il essuie, essuie son front baigné de sueurs…

— « Oui, il se sentait un peu las à son arrivée… il ne savait pas trop pourquoi, » tentait-il d’expliquer. « Sa digestion peut-être ; car, d’ordinaire, cela le délassait pareille course à travers champs… Ça va mieux maintenant… ça va mieux… »

Ce mieux qu’il éprouvait… c’était qu’en essuyant son front, il essuyait à la fois toutes ses âpres résolutions. Il les a senties s’évanouir en voyant, penchées sur lui, les deux figures confiantes et sereines qu’il avait accepté de contrister. Dans sa longue pratique de médecin, il a mutilé bien des corps ; il n’avait pas prévu qu’il fût plus cruel de meurtrir des âmes. Toute son opiniâtre volonté capitule instantanément, et il se sent soulagé, tout à fait regaillardi :

— « En vérité, Yves, il n’y a rien qui vaille cette brise de montagne pour rafraîchir et retremper… » Et prêt à sourire : « Comprends-tu qu’Hugo ait pu écrire ces vers baroques ?

« Le vent qui vient à travers la montagne,
Me rendra fou. »