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que mes yeux de père n’auraient point vu ?… Parle. »

— « Tu ne veux donc pas rester les yeux fermés ?… À cause de toi, j’aurais été plus forte seule, il me semble… C’est si affreux… J’ai empoisonné la mère de Yves, » et elle écrasa son front sur les genoux de son père.

— « La mère de Yves ? Mais tu délires, Jacqueline. Que me dis-tu ?… Raconte. » Le docteur la pressait de questions ardentes, la soulevait dans ses bras.

Jacqueline parut se ressaisir et, se dégageant du cauchemar qui l’empoignait, elle avait d’un trait dévoilé le drame inoubliable que nous connaissons. Puis les sanglots de nouveau l’étouffèrent et de même qu’on s’accroche éperdu en sombrant elle s’était de nouveau jetée dans les bras de son père.

Le docteur resta atterré. Tout s’était subitement confondu et troublé dans sa double conscience de père et de médecin, mais une chose demeurait lumineuse, effrayamment lumineuse dans son cerveau : l’amas de douleurs que, sans s’en douter, il avait causées et dont sa fille avait si héroïquement porté le poids au prix de son bonheur. Pour que rien ne l’attristât, lui, elle avait accepté toutes les larmes pour elle seule.

Avec un regard imbibé de suprême pitié, il reprit :

— « Combien tu disais juste, Jacqueline. C’est fourbe la vie… et avec quelle égale férocité aveugle, n’est-ce pas, elle tord indifféremment les êtres, faibles ou forts, bons ou méchants ?… Malheureuse, toi Jacqueline, quand tu mets sous mes yeux l’exem-