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Il l’avait écoutée sans trop grande émotion. Mon Dieu ! il savait bien que cela devait un jour arriver, qu’il y avait quelque part un autre abandon plus douloureux que le sien à consoler et il aurait rougi comme d’une lâcheté, il aurait cru sa vieille honnêteté éteinte, si, malgré son désarroi, il ne se fut pas accordé avec Marcelle sur ce point.

Mais en homme qui craint que la lie ne remonte dans la coupe qu’il pensait avoir vidée :

— « Ce n’est pas sur mon sort que je m’inquiète, va… C’est l’avenir de Yves qui me préoccupe… On entend de si trompeuses suggestions, les chimères ont tant d’écho dans les maisons vides… Si l’ennui allait le prendre et le chasser de nouveau…

Marcelle interposa :

— « Quelle délicieuse remplaçante j’aurais pourtant à vous proposer et qui vous aime bien tous deux. »

— « Jacqueline, hein !… Tu crois ?… Tu le crois toi aussi, Marcelle, qu’elle aime Yves ? »

— « Il me semble toujours que ce n’est qu’en étouffant son cœur à deux mains qu’elle en comprime les battements… et si Yves écoutait mieux… »

— « Chut, » fit le vieux, en le voyant sortir de son étable tenant précieusement à la main son chapeau rempli d’œufs. « Il faudra ne lui rien dire de tout ça, ton départ, Lucas, rien… »

Il ramassa ses outils, le harnais, mais il n’avait plus l’esprit à travailler. Avec dans son âme une brume plus dense que celle qui flottait sur les coteaux étendus devant lui, il s’était mis à regarder la pluie tomber.