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se prit à faire doucement balancer le berceau jusque là immobile… « Moi, me demandes-tu ? Mais que pourrais-je donc sans amour ? »

Et comme un silence lourd avait succédé à cette naïve réponse, elle reprit :

— « Ne va pas mal interpréter ma pensée. Je crains que tu n’aies pas assez vécu pour me bien comprendre. J’aime mon mari, j’aime mon enfant, et dans de telles conditions, nous autres femmes, nous trouvons toujours alors un peu de bonheur à traîner avec nous, quoi qu’il arrive. »

Et alors comme à une sœur, elle entreprit de lui narrer sa sortie du couvent, abandonnée à seize ans par l’oncle auquel elle avait tout dû jusque-là ; son départ pour Saint-Hyacinthe où elle avait pris du service dans un bureau de téléphone, fait plus tard du travail de couture, pour finir par enseigner dans une école publique de la paroisse voisine. C’est là que Lucas de Beaumont était allé la dénicher, ajouta-t-elle en riant. Un vrai hasard, cette rencontre chez des amis communs, à l’occasion d’une fête de Ste-Catherine. Ils s’étaient aimés follement tout de suite. Son entourage l’avait pourtant bien dissuadée, prévenue contre lui, qu’importe ; elle l’avait immédiatement préféré à tous les autres. Il était le plus beau, à ses yeux, le plus spirituel… Comme c’est étrange tout cela, mais aussi comme c’est vrai. On ne s’est jamais vu, jamais rencontré ; on est si étranger l’un pour l’autre que l’on ignore même son nom et son existence, et voilà qu’un imperceptible sentiment se glisse dans votre être, vous envahit, vous