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Yves, que sa culture intellectuelle mettait constamment en relief, eut bientôt pris rang parmi les principaux citoyens de la paroisse.

Un incident fortuit le mit tout à fait en évidence.

À ce moment-là, il y avait forte agitation dans le comté de Rouville à propos du choix d’un représentant au parlement. Tous les partis étaient surchauffés. Yves n’avait pas encore eu l’occasion d’analyser le conflit d’idées et de programmes qui les divisaient en apparence si profondément. Sur ce point, son éducation ne tenait en réalité qu’en quelques chapitres d’histoire, certains débats retentissants dans les assemblées délibérantes et peut-être plus exactement en de courtes réflexions politiques, — portant plus sur les événements et les hommes que sur les idées, — qu’il avait parfois entendues tomber des lèvres de son père ou du docteur Duvert sous une poussée quelconque d’enthousiasme, de colère ou de mépris.

Or, comme un embaucheur était venu, un bon jour, l’inviter à assister à un comité qui devait se tenir, le soir même, dans l’école du Brulé, il avait accepté l’invitation avec une joie mêlée de curiosité.

Car c’était un spectacle nouveau pour lui que ces réunions de paysans, en des coins reculés, où s’ébauche, se discute et souvent s’achève le triomphe de quelqu’inconnu de la veille, qui le lendemain sera le chef, le meneur, l’idole d’un pays ou d’une race, et qui, de sa voix comme d’une pique rougie à blanc, saura pendant une époque entière parfois les remuer jusque dans leurs couches les plus profondes.