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le petit déjeûner frugal ainsi que le cruchon d’eau vinaigrée que, en vue de l’ardente soif prochaine, les travailleurs des champs emportent d’ordinaire avec eux et réussissent à conserver frais tout le jour en l’enfouissant sous quelque javelle épaisse. Sa fourche à l’épaule, il allait prendre « le large », lorsque le père Beaumont, inquiet lui aussi du sort de sa récolte entièrement fauchée et à la merci des éléments mauvais, — à l’époque des moissons, le paysan n’a qu’une défiance : la venue de l’orage, — apparut sur le perron, anxieux de scruter plus profondément l’horizon lointain. Une émotion joyeuse et suave vint aussitôt illuminer sa figure en apercevant à la fois Yves et le soleil, le soleil et Yves, déjà levés tous deux, et prêts, chacun à sa manière, à participer à la longue et rude tâche de la journée.

Après une pause où perçait son ravissement, le vieux de Beaumont demanda :

— « Comme ça, tu nous aimes toujours ? j’entends, tu aimes toujours la vie des champs ? »

— « Comment se soustraire à cette emprise, » répliqua Yves, « par des matins pareils à celui-ci, où l’odeur de la terre semble écarter les rideaux des fenêtres et venir nous baigner jusqu’aux os ?… Je m’étais proposé de vous jouer un bon tour », fit-il ingénûment… « Vous auriez été mystifié, n’est-ce pas, de me trouver rendu au travail avant vous ? »

— « Mais tu vois, » selon que Lusignan le répète souvent avec orgueil à son garçon : « Le bonhomme est toujours le bonhomme, » acheva-t-il d’un ton enjoué… Allons, viens… »