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La satisfaction du retour avait également empoigné Rougeaud, je suppose, car il marchait à présent grand train, avec de temps à autre un court hennissement qu’il lançait à ses compagnons de charrue occupés à paître dans les près avoisinants. Le père Beaumont le laissait aller, la guide abandonnée.

Yves, lui, assouvissait sa vue aux objets connus qui défilaient devant lui. Dans ce calme déclin du jour, il écoutait le chant adouci des oiseaux ; il reconnaissait au loin les bois, « les sucreries », les maisons amies distribuées le long des routes, les granges qui émergeaient ici et là du sein des vergers.

Il venait en même temps d’apercevoir Charles Lusignan qui rentrait dans son étable avec une énorme brassée de foin fraîchement coupé, et il l’avait salué gaiement de la main.

Malgré tout, un attendrissement de plus en plus profond ne cessait de monter en lui, comme un flot prêt à déborder, car ce n’était plus l’haleine douce des choses respirées autrefois qu’il retrouvait. Et assis immobile à côté de son père, il restait grave, n’osait plus parler, tant la pensée de Lucas absent, du petit Gérard envolé, de Marcelle, de tout ce foyer en lambeaux qu’il allait dans un instant atteindre, l’envahissait douloureusement.

Lorsque la voiture s’engagea sur le petit pont familier qui précédait la maison elle-même, il se raidit spontanément pour se composer une expression sereine, dégagée, mais déjà Marcelle se précipitait à sa rencontre, trahie par sa propre émotion et impuissante à contenir ses larmes.