Page:Choquette - La Terre, 1916.djvu/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 194 —

— « Alors c’est vrai, Verneuil, que tu ne visais qu’à me darder plus à fond en me reprochant tantôt mon dénûment ?… Tu ne te souciais point du paiement de ta course, hein ?… Tant mieux, tu m’épargnes un acte honteux ; j’allais t’offrir le contenu de la petite bourse de mon enfant… Voyons, viens, Verneuil. » Et de nouveau adouci il s’était avancé vers lui les mains suppliantes.

— « C’est mutile d’insister, vous dis-je, de Beaumont… Ne suis-je point libre à la fin ?… Attendez le docteur Duvert, » acheva-t-il impitoyable.

— « Attendre ?… lorsque mon enfant se meurt ?… Je vous en supplie, Verneuil, venez tout de suite ; venez avant qu’il ne soit trop tard… »

Mais voyant que Verneuil conservait toujours son même masque satisfait et dur, un sursaut de révolte subite le fit se cabrer lui-même contre sa propre attitude de prière. Il s’exclama farouche, ses rudes poings de laboureur tendus comme des massues :

— « À quoi bon supplier, en effet ?… Les brutes, ce n’est pas par le cœur qu’on les prend… On les mène par le cou, comme les bêtes de nos champs. »

D’un élan il avait bondi sur Verneuil et l’avait à la fois empoigné à la gorge et à la ceinture.

— « Suis-moi, » lui hurla-t-il sauvagement, en l’entraînant comme il venait de dire.

Verneuil possédait de la vigueur et de l’orgueil. Il rugit à son tour en sentant ses talons crisser malgré lui sur le plancher, ses doigts s’écorcher en vain aux murailles et aux meubles. Car ce n’était plus une main, mais une griffe féroce qui l’avait happé, le