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Dans les villes, on ignore généralement tout de l’émotion poignante du malheureux qui court au loin, dans la nuit, à la poursuite du médecin et qui garde dans ses oreilles les gémissements et les râles de son foyer. La nerveuse sonnerie du téléphone escamote tout. Mais dans les campagnes lointaines, combien cette émotion — que prolonge et martèle interminablement le choc monotone des roues et des sabots sur les chemins rocailleux — combien cette émotion tenaille le pauvre paysan qui galope, seul dans l’ombre traîtresse, pour porter son appel au docteur.

C’est dans cet état d’anxiété que Lucas, au risque de culbuter l’attelage dans les fossés du chemin, avait franchi la distance qui le séparait du village et de l’habitation du docteur Duvert ; mais quelle déconcertante réponse il avait reçu à son coup de timbre fébrile :

— « Absent… parti pour les malades… » À la Montagne, il croyait… il ne savait pas bien où, lui avait seulement jeté, de la fenêtre entr’ouverte, le garçon de service du docteur.

Absent… Lucas n’avait point prévu ce désappointement ; il n’y avait même pas pensé, tant son esprit était demeuré rivé sur les deux êtres laissés là-bas, presque pareillement étranglés. Il était un moment resté dérouté, accablé, comme si toute l’existence de son enfant n’eût tenu qu’entre les mains du docteur Duvert. Les idées s’ébauchent et se succèdent vite dans la nuit, et bientôt un long grincement de roues annonça qu’il repartait. Pour aller où ?