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n’est que savamment dosé d’après la rançon à espérer en retour, ou tenu patiemment en réserve pour quelque chantage à pratiquer. Mais votre prospérité à vous, de quoi est-elle faite ? sinon des impôts et des dettes de « l’habitant », de la pauvreté et du découragement des pauvres bougres comme moi que la terre a sournoisement attirés, trahis et mis à sec ? »

Un accent douloureux avait subitement traversé le ton âpre de sa réplique.

— « Non, ce n’est pas bien parler, Lucas. » C’était son voisin Lusignan qui cette fois s’interposait. « Non, elle n’a jamais trahi personne, la terre de chez vous ; pas plus la « pièce » que tu me cèdes que celle que tu gardes… C’est de la bonne « terre franche » et qui porte bien son nom, mon Lucas… et tu sais bien que tu n’oserais pas de sang-froid la dénigrer ainsi devant le père de Beaumont. »

Lucas n’avait pas répliqué.

Lusignan reprit doucement :

— « Peut-être que ça te chagrine au fond de t’en séparer et que tu t’es monté la tête simplement pour traduire ta peine de cette façon ?… Pourquoi ne la gardes-tu pas, ta terre, Lucas ?… Garde-la, elle ne t’en voudra point et moi non plus, va. »

Et comme Lucas restait muet et accablé, Lusignan s’était levé tout de suite comme pour l’inviter à le suivre.

— « Nous comprenons bien ça, nous autres… nous les anciens », reprit-il, en s’adressant à ceux autour de lui. « Lorsqu’on a pendant longtemps foulé la