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Il se leva et alla s’appuyer sur le chambranle de la porte :

— « C’est parce que je bois, vous pensez, que je ne réussis pas ?… Voyons, les sobres, tâtez vos poches pour voir un peu ce que vous y avez entassé… Quant à moi, j’achève de gâcher ma vie dans ce bête travail. » Faisant sans doute allusion à Yves dont le souvenir lui revenait, il reprit plus bas : « Ceux qui lui ont préféré la guerre n’ont pas eu tort après tout… Ce n’est en somme qu’une manière différente de se rompre les os ou de crever. »

— « C’est diablement vrai ce qu’il dit là », interrompit Isa Gauthier, l’un des assistants, un gaillard du Brulé dont la répugnance pour la terre était bien connue. « Il n’y a en effet que la routine qui nous retienne et nous empêche de tout flanquer là pour tenter autre chose… T’as fichûment raison, mon Lucas ; à l’heure qu’il est il n’y a que les arriérés, ou les engourdis comme nous dans leur coin de terre, qui s’entêtent encore, pour subsister, à s’agripper des deux mains aux mancherons de la charrue et aux pis des vaches. »

Ceux mêmes que cette boutade avait atteints ne purent réprimer un sourire.

Sentencieusement, Isa reprit :

— « C’est vrai, mes amis. Il n’y a plus qu’une chose qui paye aujourd’hui dans nos paroisses : Exploiter les gens, au lieu d’exploiter le sol… les « rouler » et les assécher comme il faut, à la place de nos guérets… Puis prélever une petite glane sur celui-ci, une petite glane sur celui-là… un coup de gratte