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Il entra et sans vouloir s’asseoir, d’un ton grave :

— « Veux-tu acheter la lisière de terrain qui nous sépare. Lusignan ?… J’ai résolu de la vendre. »

— « La vendre ? Et pourquoi donc, Lucas ? »

— « Que veux-tu ?… j’en suis rendu là… Je suis à bout de ressources » avait-il repris tristement.

Malgré la différence d’âge assez marquée qui les séparait, l’identité de travail, le voisinage, la réciprocité des services rendus en avaient fait deux francs amis. Devant tout autre que Lusignan, Lucas eût tenté de cacher sa détresse, mais devant lui, dont il connaissait la sympathie secrète, il n’avait pas hésité.

Après un moment de silence lourd, il continua :

— « Charbonneau m’offre quatre cents dollars et je suis disposé à les accepter. Mais comme ce lopin te touche et te conviendrait sans doute mieux qu’à lui, j’ai cru que je devais d’abord te l’offrir… Pourquoi ne le prends-tu pas ?… Quatre cents dollars, tu sais que ça n’est pas le prix ! »

— « En effet, ça n’est pas cher », approuva Lusignan. Il s’arrêta un moment pour réfléchir :

— « Tu ne supposes pas toutefois que je te refuserais quelque argent, si cela devait te tirer d’affaire ?… Tu ne supposes pas ça, Lucas ? »

— « Non, Lusignan. Et je m’adresserais sûrement à toi si je me savais en état de pouvoir te le rembourser ; mais comment veux-tu que j’y parvienne ?… Non, Lusignan, prends ma terre plutôt ; prends-la. Cela me serait moins dur d’ailleurs de la voir entre tes mains ; je m’imaginerais la posséder encore un peu. »