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une figure qui était bien celle de Jacqueline, mais avec une expression étrange, méconnaissable.

Lorsque pour se rendre à la gare avec le vieux de Beaumont, Yves avait passé devant la demeure des Duvert, c’était pourtant fermement décidé dans sa pensée qu’il s’y arrêterait un moment. Il avait déjà ralenti son pas, en reconnaissant de loin l’avenue qui y conduisait, puis il avait hésité de plus en plus, et quelque chose, comme une vague qui se fût tout à coup dérobée sous lui, l’avait fait tituber à l’exemple d’un homme ivre. Sa main s’était aussitôt crispée au bras du vieux père dans une peur de défaillir, et se raidissant, il avait continué son chemin. Mais un appel haleté, parti de l’intérieur de la haie, l’avait cloué sur place, et une femme, qui semblait depuis longtemps épier son passage, se glissa à travers les arbres, les bras tendus vers lui pour un adieu.

— « Jacqueline » murmura sourdement Yves dans un tremblement de tous ses nerfs, et se servant de ce petit nom pour la première fois.

Mais elle s’était arrêtée à son tour, sans voix, le regard mouillé, avec une indicible expression de détresse, de douceur et de pitié. Il était visible à la crispation nerveuse de sa figure qu’elle faisait un effort surhumain pour dominer son émotion, mais ses lèvres seules frémirent, impuissantes à articuler le message d’adieu qu’elle semblait avide d’exprimer. Et comme le vieux de Beaumont se tenait muet lui aussi, également incapable de refouler les grosses larmes douces qui descendaient sur ses joues, elle s’était en chancelant jetée à son cou avec l’air de lui