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fait un effort pour débrouiller ses idées, puis, constatant au silence qui régnait que tout le personnel de l’usine était parti, il s’était lui-même faufilé à travers les cours désertes et dirigé vers le grand chemin — encore détrempé par l’orage à ce moment — qui conduisait au village.

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Agenouillé au dossier d’une chaise, le vieux de Beaumont, comme d’habitude ce soir-là, avait fait sa prière, sa même ancienne prière retenue de son temps de catéchisme, et qu’il avait depuis quotidiennement redite à l’heure du coucher, même les jours où il était rentré les épaules rompues aux labours ardus d’automne. Et bien que n’ayant guère sommeil, il s’était à l’heure accoutumée glissé dans son lit.

Les yeux clos, il laissait doucement défiler derrière ses paupières baissées mille visions, chimériques ou réelles, où l’ombre triste de Yves, de Lucas, de tous les êtres et de toutes les choses de chez lui qu’il avait aimés et caressés, venait tour à tour se montrer. Une foule d’interrogations muettes — que suscitait le souvenir du rude charroyage qu’il avait opéré avec Marcelle — poursuivaient en même temps son esprit : « Qu’adviendra-t-il de tout cela ?… Oh ! cette boisson… La vie maintenant si chère… Et cet abandon de la vieille terre natale, dont toutes les clôtures étaient à réparer… Et les taxes que Lucas n’avait probablement même pas encore acquittées… »

Pendant longtemps il avait remué ces misères de la vie. Il allait s’assoupir dans le vertige de ces pensées, lorsqu’il vit Yves, qui lui parut très pâle