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de la terre, de la bonne terre nourricière qui, depuis l’infini des siècles, donne aux hommes le pain quotidien.

Du sommet de sa charrette Marcelle suivait au loin le mouvement de la fenaison, la disparition rapide des meules de foin dans les champs d’alentour. Partout c’était le même remuement de fourches scintillantes, de chariots criards ; le même va et vient pressé de paysans qui, bretelles et chapeaux bas, entassaient les gerbes.

— « Tiens, Charles Lusignan a fini, » jeta-t-elle d’en haut, « il s’en retourne avec son dernier voyage. » Elle s’interrompit comme pour interroger et tendit à son tour sa main ouverte dans le vide. « Il ne nous en restera toujours pas beaucoup », acheva-t-elle, en sentant l’humidité de plus en plus marquée de l’atmosphère.

— « M’est avis que nous aurons le temps de terminer pourtant », reprit le père de Beaumont sans ralentir, calculant seulement de l’œil l’étendue qui restait… « Ah ! si Yves l’eut su, il y a longtemps qu’avec son aide tout serait terminé. »

Mais déjà de fines gouttelettes commençaient de tomber, si fines et si rafraîchissantes toutefois qu’elles avaient la caresse d’une rosée. Ni Marcelle, ni le père de Beaumont n’en tinrent compte autrement que pour accélérer davantage le pas de Rougeaud. La charrette, aux quarts remplie et tordue sur elle-même à chaque rigole, geignait sur ses essieux.

Ils ne laissaient plus maintenant l’attelage faire l’arrêt réglementaire vis-à-vis les veillottes ; le père de