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l’horizon de plus en plus bas et lourd exigeait qu’on ne perdît point de temps. Jusqu’au vieux Rougeaud lui-même qui semblait s’en rendre compte et qui, au constant émoi de Marcelle, franchissait sans le moindrement ralentir son pas les multiples raies et rigoles dont le sol était sillonné.

De temps en temps, comme pour palper, le père de Beaumont étendait sa main ouverte dans l’espace. Il semblait écouter : « Non, ce n’était pas encore la pluie, » constatait-il, et tout en s’appliquant à disposer les fourchées sur le sommet de la charge, de manière à alléger autant que possible la part de travail de Marcelle, il restait silencieux.

Bien que le soleil — d’un éclat si délicieusement séduisant dans ce coin du Richelieu — fût à cette heure absent, le bucolique tableau, que ces deux travailleurs imprévus offraient, se constituait un cadre d’un charme infini à même le fond vert des prés, la surface sinueuse des coteaux et des rives, les pans ombragés d’érables et mamelonnés de la montagne ; tout cela fondu dans l’atmosphère floue et pleine de mystère qui précède la tombée de la pluie.

Leurs figures elles-mêmes, tendues sous l’effort, étaient devenues graves, comme si quelque chose y fut remonté tout à coup de la noblesse du saint labeur qu’ils accomplissaient. Ils semblaient ne plus simplement obéir à l’âpre intérêt d’arracher à l’orage et à la ruine le foin abandonné de Lucas. Un sentiment d’un ordre plus élevé et plus touchant les avaient gagnés : le sentiment ému de pieusement recueillir à cet instant, comme par devoir, les fruits