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héros ? » reprit immédiatement le vieux docteur, sous forme d’invite à plus d’épanchements. « Il n’y a pas à y échapper… C’est de tous les terroirs, n’est-ce pas ?… Non, tu ne les voudrais pas ainsi, toi ? »

— « Non, pas ainsi… Du moins ils n’en laisseraient rien paraître au dehors et personne ne le saurait. Eux-mêmes ignoreraient la réciprocité de leurs sentiments et feindraient la plus entière indifférence l’un envers l’autre. »

— « Et cela marcherait comme ça tout le long du livre ? » interrogea finement le docteur.

— « Peut-être ; pourquoi pas ? » Pour se décider à dévoiler l’ébauche de son plan, Jacqueline s’était blottie sur l’épaule de son père, à l’abri de son regard. Elle craignait que sa figure ne vînt tout à coup démentir ses lèvres et laisser deviner la réalité à travers la fiction.

— « Pourquoi pas, demandes-tu ?… Réglons d’abord un point… Tu te souviens, n’est-ce pas, que tu devais imaginer un livre vrai, un livre pétri des seuls documents humains que l’on ramasse dans le chemin de la vie, et voilà que tu débutes déjà par une situation paradoxale… C’est ce que je reproche aux œuvres canadiennes… on n’y trouve toujours que des êtres et des situations hors nature… Psychologiquement l’amour est une passion ; ça n’en serait plus une s’il était permis de l’emprisonner dans une aussi complète et aussi patiente réserve. Tu peux menteusement y parvenir dans un livre, tu ne le pourrais pas dans la vie. »