Page:Choquette - La Terre, 1916.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 15 —

blé, les bestiaux repus, le cou allongé au-dessus de la clôture du chemin, les pommiers symétriquement plantés autour de la maison. Et quels honnêtes gens ils étaient tous, portant la probité et la loyauté inscrites dans chaque ride.

… Et c’est le fils maintenant qui allait prêter ses bras, prendre la tâche devenue trop lourde pour le père… Le fils…

Comme il est beau et touchant, songe-t-il en lui-même, le spectacle de ces sols nourriciers, de ces foyers paternels ainsi transmis intacts de père en fils. Et les fils eux-mêmes savent-ils bien jusqu’à quel degré ils sont alors fortunés de pouvoir reposer leur front au même appui de fenêtre où, enfants, ils ont endormi leurs premiers chagrins ; où, jeunes hommes, ils ont caressé leurs premiers rêves. Car pour ceux-ci il n’existe pas de repli du sol, pas de tronc d’arbre, pas de détour ou de sentier qui ne leur révèle quelque souvenir lointain, d’exquises réminiscences où flottent encore les accents attendris d’aïeuls, l’âme « des morts qui parlent. »

Le roi qui abdique et transmet ses palais et sa couronne ne lègue en somme à son successeur qu’un symbole. Symbole de splendeur et d’autorité peut-être, mais froid, mais vide d’amour et de tendresse. Aussi, rien dans ce geste n’égalera jamais l’extrême et attendrissante douceur qui émane de l’abandon entre les mains du fils — par cet autre roi de la terre, le paysan — de l’humble foyer familial, de la vieille terre natale conservant jusque dans ses crevasses