Page:Choquette - La Terre, 1916.djvu/113

Cette page a été validée par deux contributeurs.

… Une fois rendu sur la grande route, il se sentit subitement allégi, comme libéré d’une corvée dont il aurait douloureusement craint l’issue. Son grand chapeau de paille à la main — car le soleil était déjà disparu derrière les forêts lointaines du Grand Coteau, — il marchait allègrement, guidant devant lui Rougeaud dont il activait de temps à autre le pas, tantôt d’un claquement de la langue, tantôt d’un « Marche donc » affectueux de commandement. Il eut bientôt atteint le chemin de traverse qui conduisait à son ancienne ferme et il s’y engagea. D’instinct, Rougeaud s’y était lui-même avec assurance engagé le premier, car il se souvenait bien des touffes odorantes de trèfle disséminées le long des fossés. Il alla tout de suite y plonger son museau gourmand.

— « Marche donc, mon paresseux ! » Le père de Beaumont le gourmandait doucement, l’esprit ailleurs… « Avance donc. »

À cette heure crépusculaire, — comme pour profiter, on dirait, de l’obscurité et du calme des choses pour mieux impressionner — les pensées accourent toujours en troupes serrées. De même que, par les fins de jour tranquilles, les échos nous parviennent des lointains inattendus, de même jaillissent les pensées des tréfonds insoupçonnés de l’âme, les douloureuses et les amères peut-être encore avec plus d’intensité que les autres.

Songeur, le père de Beaumont ne se rendait plus compte de la route parcourue que machinalement, soit par les grands ormes des champs voisins, soit par les ponceaux jetés, ici et là, à travers le chemin.