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ment, il s’apercevait encore que le sort avait réussi à pareillement les déraciner tous deux, à les éparpiller…

— « Tiens, c’est vous, Desautels ?… »

— « Bien le bonjour, père de Beaumont… Entrez donc vous asseoir un instant. Vous n’allumez pas un peu ? »

Ils s’étaient à peine salués que déjà ils devinaient qu’ils s’étaient compris. Ces vieux paysans de race, les choses seules de la terre les absorbent ; toute leur histoire se résume aux évènements de leur paisible vie rurale. Or il est pour eux peu d’évènements aussi importants que la vente ou l’achat d’un cheval. Ils en gardent longtemps le souvenir, et celui qui, pour quelque motif que ce soit, fait glisser pour la dernière fois la barrière de l’enclos sur le départ définitif de l’un de ces fidèles traîneurs de charrue, celui-là trouve toujours amer son prochain repas.

— « C’est à propos du cheval rouge de Lucas que je suis venu, Samuel… » Il avait en même temps promené son regard sur les pâturages voisins. — « Voudrais-tu me le revendre ?… » Il s’était proposé d’en ajouter davantage, de lui expliquer, mais sa gorge s’était subitement, serrée.

— « C’est que j’en avais un assez grand besoin, vous comprenez, père de Beaumont. Sans cela… » Désaulels avait répondu doucement, puis avec une pointe finale d’interrogation, il ajouta : « Qu’en feriez-vous, d’ailleurs, vous qui n’avez plus à cultiver ? »

— « Je te l’aurais racheté un bon prix ; vois-tu, c’est moi qui l’ai élevé… Oui, tu ne sais pas ce que