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demeuré assis auprès de la fenêtre, le regard perdu dans l’espace. Au bout de quelque temps, il fit le geste d’essuyer une larme, puis endossant sans rien dire son veston des dimanches il se mit en route de son côté.

Il avait pris à travers les champs, vers le Brulé, par un chemin de raccourci battu par les piétons qui venaient au village et qu’il connaissait depuis sa plus lointaine jeunesse. Il allait lentement comme inquiet d’être en retard et de trouver Rougeaud vendu de nouveau, charrié ailleurs, hors de la paroisse, au loin peut-être. Car cela seul le préoccupait à ce moment : le rejoindre pour le ramener à son ancien parc, lui entr’ouvrir la barrière, comme il le faisait autrefois avec une tape amicale aux flancs, la rude journée de labour finie. Ce n’est pas simplement pour lui, pour Lucas, pour Marcelle qu’il caresse en marchant ce projet, c’est pour le vieux Rougeaud lui-même, qu’il se représente rudoyé là-bas, voué sans pitié, malgré sa vieillesse ou à cause de sa vieillesse, aux seules pénibles besognes.

« Vingt ans », avait compté Marcelle… En effet, c’était bien exactement l’âge de Rougeaud, puisque, à sa naissance, le père de Beaumont s’en souvenait à présent, Yves avait quatre ans. Depuis vingt ans donc, ils avaient tous deux partagé en quelque sorte les joies et les tristesses de la même ferme natale : joies des brises rafraîchissantes, des pâturages et des fourrages abondants ; tristesses des automnes pluvieux et des labeurs harassants dans les chaumes détrempés. Et poursuivant plus loin le rapproche-