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quelque jour par s’installer au foyer de Lucas. Non, certes, ce n’était pas que sa bonne vieille terre natale eut déjà épuisé sa fécondité, pensait-il en lui-même, mais quelle est la ferme, à Saint-Hilaire ou ailleurs, assez prodigue pour permettre à la fois à son maître de boire et à la famille de manger ?

Souvent il avait interrogé Marcelle délicatement, sans rien laisser entrevoir de ses inquiétudes : « Lucas a-t-il vendu son orge un bon prix ? » ou bien « Ses vaches produisent-elles beaucoup de lait de ce temps-ci ? … Combien retire-t-il de la fromagerie ? « Mais Marcelle, par dignité de femme et par tendresse pour le pauvre vieux, avait toujours tenu secrète la gêne qui minait son foyer, dissimulé les privations et les prodiges d’économie auxquels elle était tenue pour répondre aux plus urgents besoins de l’existence. Les larmes ne lui étaient pas encore venues, mais combien elle les sentait proches quand elle avait ainsi à se raidir sous les questions pleines d’intérêt que s’empressait toujours de lui poser le père de Beaumont, lorsqu’il la savait seule.

Les larmes ne lui étaient pas encore venues, non… mais cette fois elles avaient spontanément jailli, lui fusant à flots à travers les paupières, malgré elle : — « Leur bon Rougeaud que Lucas avait secrètement vendu et qu’elle avait vu, amené au bout d’un licou, comme on remorque une épave, » racontait-elle douloureusement. « Au sortir du parc, le vieux cheval, dressé par une longue habitude de vingt ans, avait voulu s’engager dans le petit sentier qui conduisait au hangar à voitures ; il s’était arcbouté un