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Claude Paysan
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… C’est vrai qu’elle pleurait…

Les broches rapides de son tricot s’étaient arrêtées. Sur elle, ses pauvres mains à grosses veines bleuâtres reposaient inertes, tenant encore les mailles dans une crispation inconsciente et son regard restait fixe, plongé loin, bien loin, à travers les murs, à travers la couche blanche de neige, à travers le sol… enfoncé jusque dans un lointain infini.

Elle voyait quelque chose dans cet infini confus : une jeune fille qui lui ressemblait et un jeune homme qui ressemblait à son vieux défunt Claude… une ressemblance de leur âge… d’amour, de leurs vingt ans, par exemple.

Et des ressouvenirs heureux de ce temps déjà si éloigné lui revenaient ; des scènes passées lui réapparaissaient. Elle se revoyait prise au cœur par l’attrait toujours charmeur de l’amour ; elle reconstruisait les châteaux qu’elle avait alors édifiés sous son mirage trompeur, et qui s’étaient ensuite écroulés, fondus, effacés ou transformés jusqu’à n’être plus en réalité qu’une pauvre chaumière.

Elle songeait comme elle l’avait aimé, son vieux Claude ; combien l’affection avait été réciproque entre ces deux enfants de paysans. De même classe, de même rang ; elle, joyeuse et naïve, n’écoutant que les symphonies dont son amour la berçait ; lui, follement enivré aux suaves effluves qui soufflaient sur son chemin ; tous deux heureux et rayonnants… Il n’y avait rien de bon comme ce souvenir… Puis, un beau matin de rosée et de soleil, à genoux devant les autels sacrés, ils s’étaient mis la main dans la main comme pour un enlacement éternel.