Page:Choquette - Claude Paysan, 1899.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
Claude Paysan

sol tranché se penche, se renverse, s’abat en laissant voir toutes les racines profondes des herbes mises à nu.

Et ainsi, à perte de vue, aux flancs de la montagne, aux penchants des coteaux ou sur les vastes plaines, on voit disséminés partout les hardis laboureurs de Saint-Hilaire.

Depuis l’aube matinière jusqu’au crépuscule hâtif du soir, jusqu’à ce que leurs ombres agrandies, géantes à cause du soleil penché, se soient évanouies dans la nuit, ils font retentir les échos au loin de leurs cris de commandement.

… Il était le chef maintenant, Claude, le seul gardien de son petit champ et de sa vieille mère, et ce jour-là, par un temps gris sans nuage, il labourait silencieusement.

Il allait d’une manière machinale, les longues rênes des harnais passées autour du cou. Ses bras seuls, solidement tendus sur les mancherons de la charrue, conduisaient la manœuvre, car son esprit était ailleurs. Et il restait ainsi de longues heures dans une demi-conscience de la besogne.

Il ne commandait point brutalement ses chevaux, lui, non, jamais ; il les excitait d’un claquement seul de la guide pour ne point faire écrouler au son de sa voix les pensées de ses rêves. Et quand il leur parlait, c’étaient plutôt des mots de caresse qu’il disait.

Des fois encore — lorsqu’il s’arrêtait pour secouer ses souliers devenus trop lourds par la glaise gluante — il les flattait de la main, chassait les mouches de leurs flancs, puis son front essuyé, il recommençait un nouveau sillon.