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Claude Paysan

garder, elle courait chez p’tit Louis ; Jacques avait peine à la suivre. Si les vieilles femmes sont faibles, les vieilles mères sont fortes. En elle-même, avec une physionomie de malheur, elle calculait qu’une minute épargnée pouvait être justement celle qui sauverait son fils… Sauver son fils ; qui a une telle tâche n’a pas le droit de s’arrêter…

Elle courait… Elle était déjà rendue…

— Claude ?… demandait p’tit Louis… Ah ! il le savait, lui… il venait de le voir… ils avaient même parlé tous les deux de c’te pauvre mam’zelle Fernande qui venait justement de mourir…

— Fernande est morte ?… s’exclamait la vieille Julienne, l’air égaré.

— Bien oui, mère Drioux, ce soir vous ne le saviez pas ?… Ensuite Claude m’a dit qu’il avait à traverser la rivière et il est parti avec son chien… Et il n’est pas encore revenu ?…

— Elle est morte… répétait-elle distraitement. Puis avec un cri épouvanté après avoir un instant prêté l’oreille : Gardien… Mon Dieu ! oui, c’est ça…

Et la mère Julienne comme pour aller encore plus vite arrachait la lanterne des mains de Jacques.

Maintenant que la lumière l’éclairait de face elle était pitoyable à voir. Une expression affreuse de fatigue et d’angoisse surhumaine lui creusait les yeux, ridait son front et ses joues. Sa mâchoire tombée s’agitait convulsivement comme pour marmotter des mots de prière intérieure et toute sa charpente secouée par les halètements rapides tremblait frileusement sous la bise froide d’automne.