Page:Choquette - Claude Paysan, 1899.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
Claude Paysan

Dans l’accablement de leur malheur soudain, ils en avaient mal ou autrement ressenti l’acuité, mais une fois le calme rétabli, c’était une intensité nouvelle de douleur qui les étreignait à l’âme.

La voix du vieux Claude, son pas lourd sur le plancher, puis le soir, à l’heure du coucher, les mots latins de prière qu’il disait si drôlement, presque tout haut, à genoux près de son lit, tout cela résonnait constamment aux oreilles de la mère Julienne. Elle ne pouvait point s’habituer à ne plus le croire à côté d’elle et parfois, dans les portes, elle se rangeait tout à coup instinctivement comme pour le laisser passer.

Oh ! qu’il lui paraissait agrandi, immense, le pauvre foyer dont les murs se refroidissaient peu à peu des chaudes sympathies qu’ils avaient abritées et couvées depuis quarante ans et qui la faisaient encore revivre en songe toutes les heures de son passé.

Un à un ils s’étaient envolés, les siens, ses fils… Les uns pour le pays sans âme qui dévore et s’approprie de tout temps les sèves généreuses de nos enfants, pour le sol vierge des grandes forêts, et les autres. … pour l’au-delà sans fin.

Claude restait encore, lui, le dernier. Et, quand elle le pouvait, sans qu’il s’en aperçut, elle passait des heures à le caresser de son long regard de mère, concentrant maintenant sur lui seul toute son affection.

Oh ! comment rendre cet amour-là de la vieille Julienne ?… Bien simplement, à la vérité ; car les chagrins ne joignent-ils point cent fois plus serré que les joies ?