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Claude Paysan

« Il y a longtemps que je désirais t’écrire pour te donner de mes nouvelles et mon adresse en même temps, mais je ne pouvais pas. Depuis mon départ, j’ai presque continuellement été en route, ne me posant que quelques jours ici et là…

« Aujourd’hui, je me crois fixé, au moins pour quelque temps, et c’est ici que tu me répondras.

« Je n’ai pas encore fait fortune, mon pauvre Claude, mais j’espère quand même. J’en ai souvent de grands chagrins de ne point t’avoir avec moi, car je t’assure que c’est bien terrible par ici. Il faut se défier de tout le monde, coucher sur sa poudre d’or et son revolver. Des fois je regrette d’être parti…

« J’ai eu beaucoup de misère, va… traverser à pied des montagnes de glace et de neige avec son bagage sur le dos, s’envelopper dans des peaux de bêtes et dormir ainsi au grand air… mais je retournerai bientôt.

« L’autre soir, j’ai eu un bien vilain moment d’ennui et de noir découragement. Je me représentais toutes les choses de chez toi. J’entendais tinter la cloche de l’église, sonner, au trot des chevaux, les grelots des harnais, crier les moineaux dans la cour, japper ton chien ; il me semblait te voir toi-même parler tout bas avec ta vieille mère Julienne au coin du feu ; vous étiez assis près de la petite table brune, rien que vous deux, je n’y étais pas, moi, ma place était vide…

« Oh ! comme j’aurais alors voulu pleurer, mais il m’a fallu avaler mes larmes, à cause de tous ces sans-cœur dont je suis entouré, qui ne pleurent jamais, eux, et qui auraient ri de moi peut-être…