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talité, de la mauvaise grâce et de l’égoïsme. De plus, ils sont menteurs, voleurs, dévots comme au moyen âge. Ils font bénir leurs bêtes, tout comme si c’était des chrétiens. Ils ont la fête des mulets, des chevaux, des ânes, des chèvres et des cochons. Ce sont de vrais animaux eux-mêmes, puants, grossiers et poltrons ; avec cela, superbes, très bien costumés, jouant de la guitare et dansant le fandango. La classe monsieur est charmante. C’est le genre Adolphe. L’industriel tient le milieu entre Peigne-de-buis et Robin-Magnifique. Le prolétaire est un composé de Bonjean et du père Janvier. Si Chabin venait ici, il ferait un ravage de cœurs et serait capable de passer pour un aigle.

Moi, je passe pour vouée au diable, parce que je ne vais pas à la messe, ni au bal, et que je vis seule au fond de ma montagne, enseignant à mes enfants la clef des participes et autres gracieusetés. Au reste, nous sommes bien admirablement logés. Nous avons pris une cellule dans une grande chartreuse, ruinée à moitié, mais très commode et bien distribuée dans la partie que nous habitons. Nous sommes plantés entre ciel et terre. Les nuages traversent notre jardin sans se gêner et les aigles nous braillent sur la tête. De chaque côté de l’horizon, nous voyons la mer. En face une plaine de quinze à vingt lieues ; laquelle plaine nous apercevons au bout d’un défilé de montagnes d’une lieue de profondeur. C’est un site peut-être unique en Europe. Je suis si occupée, que j’ai à peine le temps d’en jouir. Tous les jours, je fais travailler mes enfants pendant six ou sept heures ; et, selon ma coutume, je passe la moitié de la nuit à travailler pour mon compte.