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soit bon et la navigation sûre. C’est que le cochon a l’estomac délicat, il craint le mal de mer. Or, si un cochon meurt en route, l’équipage est en deuil et donne au diable journaux, passagers, lettres, paquets et le reste… Voilà donc plus de quinze jours que le bateau est dans le port ; peut-être partira-t-il demain ! Voilà vingt-cinq jours et plus que Spiridion voyage ; mais j’ignore si Buloz l’a reçu. J’ignore s’il le recevra.

Il y a encore d’autres raisons de retard que je ne vous dis pas parce que toute réflexion sur la poste et les affaires du pays sont au moins inutiles. Vous pouvez les pressentir et les dire à Buloz. Je vous prie même de lui parler à ce sujet ; car il doit être dans les transes, dans la terreur, dans le désespoir ! Spiridion doit être interrompu depuis un siècle ; à cela je ne puis rien. J’ai pesté contre le pays, contre le temps, contre la coutume, contre les cochons. J’ai un peu pesté contre ce cher Manoël, qui m’a dépeint ce pays comme si libre, si abordable, si hospitalier. Mais à quoi bon les plaintes et les murmures contre les ennemis naturels et inévitables de la vie ? Ici, c’est une chose ; là, une autre ; partout, il y a à souffrir.

Ce qu’il y a vraiment de beau ici, c’est le ciel, les montagnes, la bonne santé de Maurice et le radoucissement de Solange. Le bon Chopin n’est pas aussi brillant de santé ! Après avoir très bien, trop bien peut-être supporté les grandes fatigues du voyage, au bout de quelques jours la force nerveuse qui le soutenait est tombée et il a été extrêmement abattu et souffreteux. Mais il revient sur l’eau de jour en jour et j’espère qu’il sera mieux qu’auparavant. Je le soigne comme mon enfant. C’est un ange de douceur