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57. — George Sand à Pierre Bocage, à Paris.

Marseille [avril 1839].

Cher ami, vous êtes bien aimable de m’avoir écrit.[1] Vous saviez bien que vous me feriez grand plaisir, sans cela vous auriez du mérite à m’avoir fait des avances mais ce mérite je vous le refuse : Je vous réponds de la ville des Phocéens qui n’est pas plus phocéenne que vous et moi. Telle qu’elle est, je la trouve charmante après l’Espagne, cette terre de brigands et de vermine où rien ne m’a réussi que la santé de Maurice, ce qui est déjà quelque chose. Mais tandis qu’il se fortifiait à vue d’œil notre [George Sand avait d’abord écrit « mon », puis, par surcharge, elle a transformé ce mot en « notre »] pauvre Chopin dépérissait. Le climat humide et mou des hautes montagnes que nous habitions lui était fort contraire. J’attendais toujours qu’il fût un peu mieux pour le ramener en France. Mais ce mieux, n’arrivant pas du tout, il a fallu le ramener tel quel. Ç’a été pour moi un voyage bien pénible et plein d’anxiétés que ce retour. Dieu merci, à peine a-t-il senti l’air sec de la Provence qu’il s’est mis à ressusciter à vue d’œil, et le voilà tout à fait bien, reprenant de l’embonpoint relatif dans le genre du vôtre et de celui de Maurice, mais ne toussant presque plus et redevenant gai comme un petit pinson quand le mistrrrrrâl (vous savez comme on prononce à Marrrrrrrseille) ne souffle pas.

Moi je vais mieux aussi. J’ai souffert horriblement

  1. L’hésitation qu’avait eue Bocage se comprend quand on pense à ses relations antérieures avec la romancière. Celle-ci se joue de la difficulté en traitant, dans cette lettre, le grand artiste dramatique de « Frère » et d’« Ami ».