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parlant, j’y courrais tout de suite et ferais toutes les avances. Jusqu’ici j’ai vécu tout à fait cachée et enfermée chez Monsieur Marliani, soignant mon petit Chopin qui, Dieu merci, reprend à vue d’œil, ne tousse plus, dort bien, mange bien, joue du piano et commence à sortir en voiture.

Je m’occupe aussi de mes enfants plusieurs heures par jour, ils sont paresseux, mais intelligents. J’ai retrouvé ici Rey, que vous connaissez peut-être, qui était lié avec Liszt et qui est venu à Nohant. C’est un bon garçon passablement instruit et intelligent qui me seconde en leur donnant des leçons. La nuit, je gribouille comme de coutume. Je suis assaillie ici comme à Paris. Du matin au soir : oisifs, curieux et mendiants littéraires assiègent ma porte de leurs lettres et de leurs personnes. Je me tiens sur une défensive inflexible, ne réponds, ni ne reçois et me fais passer pour malade. Ne soyez pas effrayée s’il vous vient de ce pays la nouvelle que je suis mourante ; quand ils sauront que je me porte bien je crois qu’ils seront furieux, car moins que partout ailleurs, on comprend ici l’horreur que peut inspirer la populacerie littéraire et le charlatanisme de la réputation. Il y a cohue à ma porte, toute la racaille littéraire me persécute et toute la racaille musicale est aux trousses de Chopin. Pour le coup, lui je le fais passer pour mort, et si cela continue nous enverrons partout des lettres de faire-part de notre trépas à tous deux, afin qu’on nous pleure et qu’on nous laisse en repos. Nous pensons nous tenir cachés dans les auberges tous ce mois de mars à l’abri du mistral qui souffle de temps en temps assez vivement ; au mois d’avril, nous louerons dans la