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Pour la première fois, en 1828, Chopin quitta son pays ; en 1829 il partit pour la seconde fois. Quand, en 1830, un troisième voyage lui fit quitter Varsovie, il ne prévoyait pas qu’il ne lui serait plus donné de revoir sa terre natale. Après un court séjour à Breslau, à Dresde et à Prague, il vint à Vienne, où il passa plus de six mois, et de là, par Munich et Stuttgart, il arriva à Paris, où désormais il se fixa. C’est de 1831 que date la plus belle époque de la vie de Chopin. Il parvint en très peu de temps à acquérir une renommée universelle, aussi bien comme virtuose que comme compositeur ; on se l’arrachait littéralement comme professeur de piano. En 1835 il fit une excursion à Carlsbad, où il se rencontra avec ses parents, et, l’été suivant, il passa la saison à Marienbad avec la famille Wodzinski. L’aimant qui l’attirait dans cet endroit, c’était Mlle Marie Wodzinska, à laquelle il se fiança avec l’approbation de la mère. Mais il était écrit que ces projets d’union ne se réaliseraient pas : Chopin ne devait plus revoir Marie.

En 1837 il fit la connaissance de Mme Dudevant (George Sand), avec laquelle il fut intimement lié pendant près de dix années. C’est à peu près au moment où commençait cette liaison qu’apparurent chez Chopin les premiers symptômes graves de la maladie de poitrine qui devait l’enlever ; aussi fit-il l’année suivante, en compagnie de George Sand et de ses deux enfants, Maurice et Solange, un voyage à l’île Majorque. L’influence du séjour de Chopin à Valdemosa, dans un cloître humide et inhabité, ne fut guère heureuse pour sa santé, au contraire : tandis qu’il reprenait le chemin de Paris, Chopin tomba gravement malade. Pourtant, rentré chez lui, sa santé s’améliora considérablement, et sa maladie ne le tourmenta plus beaucoup. Pendant tout le temps que durèrent ses relations avec George Sand, Chopin passa souvent l’été à Nohant, terre patrimoniale de l’illustre écrivain, située dans le Berry, non loin de La Châtre, à cinq lieues de Châteauroux. La maison d’habitation, quoique portant le titre pompeux de château de Nohant, n’était qu’une simple bâtisse, peu élevée, à un seul étage. Outre George Sand, ses enfants et une cousine, dont il est question dans une des dernières lettres de Chopin, celui-ci avait souvent l’occasion d’y voir une quantité de personnages importants du monde littéraire ou artistique, qui recevaient l’hospitalité de l’aimable châtelaine ; les principaux étaient : Pauline Viardot, la comtesse d’Agoult (connue sous le pseudonyme de Daniel Stern), Eugène Delacroix et Pierre Leroux.

Dans ses lettres à sa famille, Chopin, comme s’il eût voulu éviter de prononcer le nom de George Sand, l’appelait toujours en parlant d’elle : « Mon hôtesse », employant même parfois, chose étrange, le pluriel, par exemple : « Elles si chères, elles aiment pour tous », ou, « Ici la