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PRÉFACE




On était généralement persuadé jusqu’à ce jour que les lettres de Chopin à sa famille, ainsi que la plus grande partie de celles qui lui furent écrites et les différents souvenirs trouvés dans ses papiers, avaient disparu lors du pillage du palais des comtes Zamoyski, à Varsovie, où demeurait, entre autres, à cette époque, la sœur de Chopin, Isabelle Barcinska[1]. Dans cette année de 1863, le 19 septembre, une bombe fut lancée d’une des fenêtres du palais Zamoyski sur le comte de Berg, alors lieutenant général du royaume. Aussitôt après l’attentat, qui n’eut, du reste, aucune suite fâcheuse pour le comte de Berg, l’ordre fut donné de piller le palais.

La soldatesque effrénée pénétra dans tous les appartements, saccageant le mobilier, le traînant dehors, jusque sur la place, en face du monument de Copernic, brisant tout, n’épargnant ni les objets de prix, ni les meubles précieux, qui enfin, accumulés en un tas énorme, furent tous brûlés. Tel fut également le sort du piano sur lequel Chopin avait joué dans ses jeunes années, ainsi que de son portrait peint par Ary Scheffer, de beaucoup de meubles et de souvenirs apportés de Paris après la mort du grand musicien. On supposa donc généralement que les lettres et les souvenirs de Chopin, religieusement conservés par sa sœur Barcinska, avaient subi le sort du piano et du portrait, et cette conviction nous fut transmise par les biographes de Chopin, sans en excepter Niecks[2].

Or, cette version n’était vraie qu’en partie, et, si elle s’est maintenue jusqu’à présent, c’est, je crois, par suite du profond respect dont la famille entourait ces souvenirs échappés à la destruction, veillant scrupuleusement à ce qu’aucune mention n’en parvînt à la connaissance publique ; elle les considérait comme sa propriété exclusive, et ne désirait nullement que des mains profanes y vinssent fouiller.

  1. Pour éviter des difficultés de lecture, nous remplaçons les caractères propres à la langue polonaise par leurs équivalents français les moins inexacts.
  2. Friedrich Niecks : « Friedrich Chopin als Mensch und als Musiker ». Deutsch von Dr W. Langhans. Leipzig, F.-E.-C. Leuckart, 1890. — Deux volumes.