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DE L’ELBE AUX BALKANS

tions tion en trompe-l’œil, brique recouverte de stuc modelé, datent des années d’abaissement ; ils ne peuvent que rappeler à la nation tchèque la funeste défaite ou sombra son indépendance ; la douloureuse époque qui vit l'exécution ou l’exil de ses meilleurs enfants en même temps que le triomphe insolent des artisans de la Contre-Réforme et des aventuriers de la guerre de Trente ans.

Non, ce qu’il y a de vraiment grand, parce que probe, solide et durable, ce n’est point la ville d’une époque où la nation vaincue voyait son âme subjuguée, ce n’est point Prague « baroque » avec ses fausses mansardes, ses sculptures truquées et tout son luxe trompeur ; c’est Prague gothique dont le temps a noirci les façades sans les effriter. Cette Prague-là est toute une leçon pour les Tchèques, et il n’est pas mauvais, pour la souligner, qu’ils aient placé au pied d’une église de ce style jesuite la statue d’Ernest Denis. Cette leçon dit que les époques où la nation tchèque était le plus intimement liée à la France ont été les plus brillantes et les plus prospères de son histoire, celles où le génie de sa race s’est le plus librement et le mieux manifesté en des oeuvres inaltérables. C’est au contraire pendant les siècles d’oppression, au milieu de ce qu’un grand romancier tchèque appelle « les ténèbres », que les oppresseurs ont imposé à la ville l’hypocrisie du stuc où les qualités de la nation ne se retrouvent plus.

Je me faisais ces réflexions le soir du 27 octobre en contemplant, du haut d’un belvédère, les originales illuminations par lesquelles la capitale de la jeune république commémorait le dixième anniversaire de l’indépendance nationale. Au lieu de souligner les monuments par des cordons lumineux qui en dessinent durement les contours,