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Plus loin on voit cette Reine, pauvre femme effrayée, attérée et toujours comprimée par cet ogre farouche — le fanatisme Laval, — qui ne peut et ne sait plus dire, dans sa propre langue, que quelques mots inintelligibles aux meilleurs interprètes.

Or, ces meilleurs interprètes, que M. Caillet avait en haute estime et qu’il employait constamment, ce sont — il est bon de le savoir — deux anciens matelots français, les deux ivrognes Guilloux et Marion. On ne saurait se faire une idée de la haute fantaisie qu’ils mettaient généralement dans leurs traductions. Nous allons essayer d’en donner un exemple fidèle.

C’était quelques jours après l’arrivée de la Dorade à Mangarèva, c’est-à-dire le 23 décembre 1866. M. Caillet, qui a toujours beaucoup aimé à faire des discours — maladie de ceux qui n’ont rien à dire — fut pris du besoin d’écrire à la reine régente Maria-Eutokia.

Cette dernière, il le savait, ne comprendrait pas sa prose française ; d’un autre côté il n’avait pas foi dans la fidélité que le Père Laval mettrait à la traduire, c’est pourquoi il en fit faire une version mangarèvienne par son meilleur interprète, Guilloux, et il l’envoya.

Voici quelques phrases du texte original français :

« Madame,

» Le drapeau qui flotte aux Gambier est partout l’emblème de la civilisation. Il ne doit donc pas être, ici, une menace permanente contre les habitants, et, aux yeux des étrangers qui visitent ces îles, le signe de l’esclavage pour la population qu’il doit abriter.

» Le protectorat que nous avons à exercer sur votre petit pays nous fait un devoir de nous ingérer dans ce qui a trait aux affaires publiques. J’ai cherché à vous faire comprendre devant les différentes personnes qui vous approchent le peu de garanties qu’offre la justice de votre pays. »

Voici la version de Guilloux :

E te tepeirue,

— Ko a reva e oga ana i Gambier ite mau kaïga marama e akatiki oga no te mau ku marama.

— E kore reka koe e na kuatume akamataku ki to koe hu ; ta mata o to koe hu, me te mata o te mau atoga paruga, mo te mau tagata e noho ana ikonei.

— Tokutu ruga ki to koe kaïga ite neï, chatoga uoku meaka