Page:Choix de discours de réception à l'Académie françoise, tome I, 1808.djvu/50

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pas dédaigné d’être loués d’avoir bien su une langue qu’ils avoient apprise de leur nourrice.

En effet, les hommes ne paroissent plus spirituels les uns que les autres, qu’à proportion qu’ils s’énoncent mieux. Tous sentent à peu-près les mêmes mouvemens ; tous pensent presque les mêmes choses ; les plus belles pensées sont même celles qui paroissent les plus faciles et les plus naturelles. Ce qui les distingue donc, ce qui les rehausse, ce n’est que la manière de les dire, et le tour qu’on leur donne en les exprimant : ce sont des diamans naturellement bruts, qui ne brillent qu’autant qu’ils sont polis, et qui ne doivent pas davantage leur prix à la nature qui les forme, qu’à l’art qui les met en œuvre. Désirable et ingénieux talent, qui n’orne pas seulement l’esprit d’une infinité de graces qui le rendent agréable aux autres, mais qui l’ennoblit même par l’alliance de toutes les vertus qui le rendent utile à soi-même ; car il est constant que la beauté du langage et la véritable éloquence ne peut pas davantage se former sans l’innocence des mœurs, qu’une fleur éclore sans l’influence de sa tige, et sur-tout, Messieurs, dans un royaume dont la langue a ce don particulier d’être si chaste et si sévère, qu’elle ne peut souffrir les moindres licences dans le discours ordinaire, qui demande tant de liberté ; qu’elle ne les pardonne pas même à notre poésie, qui, par-tout ailleurs s’en donne de si grandes ;