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jugeons agréable, comme on peut nous tromper sur ce que nous jugeons vrai ; c’est que le beau, une fois saisi, devient un objet de comparaison pour le saisir encore, et toujours plus sûrement. Nous en observons mieux les sentimens que nous éprouvons ; nous en observons mieux les causes qui les produisent, et nous faisant une habitude de juger du beau d’après les observations qui nous sont familières, nous arrivons enfin à en juger si rapidement, que nous croyons ne faire que sentir. Ainsi, le goût est un jugement rapide qui, joignant la finesse à la sagacité, se fait comme à notre insçu ; c’est l’instinct d’un esprit éclairé.

Dès qu’une fois le goût commence à se montrer, il se communique avec une promptitude qui contribue encore à ses progrès. Il est dans les esprits comme la matière électrique dans les corps, lorsque le frottement ne l’a pas développée, et qui, si elle se développe dans un seul, se développe dans tous au plus léger attouchement. Aussi à peine le Dante jette des étincelles, qu’il en sort de Pétrarque, de Boccace, et de tous les esprits électriques.

Pour nous former le goût, il ne suffit pas d’étudier les langues mortes, il faut encore cultiver celle qui nous est devenue naturelle ; parce que c’est dans cette langue que nous pensons. Les tours dont elle nous fait habitude, sont comme les moules de nos pensées. Tant que ces moules