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être éternellement sombre et que jamais tu ne sois embellie par les doux rayons de la lune ! Insensés que nous sommes, nous laissons dans un instant s’échapper de nos mains celui que nous avons poursuivi pendant plusieurs jours ! Pourquoi ne l’avoir pas plutôt enchaîné selon les ordres de son père ? Nous ne serions pas en proie à toutes ces angoisses mortelles ! Maintenant que ferons-nous ? Comment paraître devant notre souverain ? Quel roc ou quelle masse de fer ne se briserait pas de douleur et d’épouvante au triste récit que nous devrons faire aux parents et aux frères de notre maître ? S’entretenant par de tels et semblables discours, les uns pleuraient, les autres ne respiraient que vengeance, et, à les entendre, les pierres insensibles elles-mêmes se seraient émues. Enfin, accablés de tant de souffrances et de lassitude, ils lui jettent un regard de reproches mêlé de mépris, et disent : Adieu ! cœur de roc, adieu ! fuis le monde pour t’ensevelir dans les ténèbres, car tu es indigne de la lumière ! Après avoir trompé ton père, tu nous as trompés à notre tour. Nous ne comprenons pas comment Dieu t’agréerait, toi au cœur dur et astucieux ? Ces paroles, entrecoupées de larmes de rage et d’attendrissement, furent les dernières qu’ils prononcèrent. Puis ils partirent pour regagner la Serbie. Tout en chevauchant, ils se retournaient vers la colonne pour l’apercevoir, jusqu’à ce qu’elle eût entièrement disparu à leurs yeux. Lorsqu’ils furent éloignés, le saint descend du haut de sa colonne, remercie Dieu d’abord, puis court saluer l’égoumène et tous les frères. Il les conjure tous, mais principalement le vénérable vieillard, l’égoumène, de ne pas lui en vouloir de la brutalité qu’ils ont soufferte de la part des soldats du vaïvode. Au contraire, dit-il, priez Dieu de pardonner à ceux qui vous ont offensés et de les laisser en paix et santé regagner leurs foyers. Les frères, bien accablés de coups, pouvant à peine remuer, vinrent tous l’embrasser, lui montrant leurs plaies, leurs foulures et les tumeurs dont leur corps était bleui. Le sage et pacifique Sabba leur dit : « Frères, pardonnez aux soldats, car ils n’ont su ce qu’ils faisaient. Emportés par la colère, ils vous ont confondus avec leurs ennemis. Souvenez-vous des paroles du Seigneur, qui dit : « Bienheureux si vous êtes calomniés pour mon