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tolérer de pareils méfaits de la part d’un prince dont la méchanceté affligeait les hommes et attirait la colère de Dieu. Il lui écrivit plus d’une fois pour le ramener à de meilleurs sentiments, le priant de cesser ces actes de férocité et de barbarie. Mais ces remontrances, faites sur un ton bienveillant et les conseils donnés en ami, ne firent aucune impression sur le caractère dur et intraitable de Strézo. Il s’en moquait, et, au lieu de chercher à prouver sa reconnaissance envers son bienfaiteur en s’abstenant de ses crimes, il y ajouta le parjure. Violant les lois de fraternité prescrites dans l’Évangile, et oubliant l’amour du prochain, Strézo devint traître : il s’allia avec les tzars de Grèce et de Bulgarie, et, à la tête des forces armées qu’ils lui avaient procurées tous les deux, il porta la guerre dans les États de son bienfaiteur.

L’autocrate, convaincu enfin de l’impossibilité d’amollir le cœur de cet homme dur et ingrat, ordonna à ses kniazes de préparer les guerriers au combat. Il se prosterna contre terre pour prier Dieu : Viens à mon secours, disait-il, les larmes aux yeux ; Seigneur, hâte-toi de me donner aide ! Seigneur, par les prières de la très-pure Vierge, ta mère, et celle de ton élu saint Syméon, mon père, ne me rends pas le jouet de mon ennemi ! Comme souverain suprême, décide ma cause encore indécise, car il veut me rendre le mal pour le bien ! Par ces paroles et plusieurs autres Étienne se sentit confirmé dans ses espérances de réussir, et prépara ses troupes pour la guerre. Quant à saint Sabba, il souffrait de voir son frère affligé, et sa patrie exposée à voir beaucoup de sang versé de part et d’autre. Il va trouver son frère et les seigneurs, leur disant : Restez-ici, et laissez-moi d’abord aller chez notre ennemi, pour traiter de la paix. S’il ne veut pas écouter les conseils que Dieu m’a inspirés, vous agirez à votre tour, en hommes justement offensés. Là-dessus le saint va trouver ce lion sanguinaire. Dès que celui-ci l’eut aperçu, il s’inclina respectueusement jusqu’au parquet, l’embrassa et le reçut avec amabilité, comme il le faisait d’ordinaire lorsqu’il était encore l’hôte d’Étienne[1]. Ils s’assirent entourés de beaucoup de nobles réunis chez

  1. Mot à mot, kod brata iého « chez son frère ». Le mot kod, de même que ougivanié, sur la page précédente, appartiennent à la langue serbe.