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un véritable bonheur. En effet, placée entre une mère dont il vous importe d’être aimée, & un amant dont vous désirez de l’être toujours, comment ne voyez-vous pas que le seul moyen d’obtenir ces succès opposés, est de vous occuper d’un tiers ? Distraite par cette nouvelle aventure, tandis que vis-à-vis de votre maman vous aurez l’air de sacrifier à votre soumission pour elle un goût qui lui déplaît, vous acquerrez vis-à-vis de votre amant l’honneur d’une belle défense. En l’assurant sans cesse de votre amour, vous ne lui en accorderez pas les dernières preuves. Ces refus, si peu pénibles dans le cas où vous serez, il ne manquera pas de les mettre sur le compte de votre vertu ; il s’en plaindra peut-être, mais il vous en aimera davantage ; & pour avoir le double mérite, aux yeux de l’un de sacrifier l’amour, à ceux de l’autre d’y résister, il ne vous en coûtera que d’en goûter les plaisirs. Oh ! combien de femmes ont perdu leur réputation, qui l’eussent conservée avec soin, si elles avaient pu la soutenir par de pareils moyens !

Ce parti que je vous propose, ne vous paraît-il pas le plus raisonnable comme le plus doux ? Savez-vous ce que vous avez gagné à celui que vous avez pris ? c’est que votre maman a attribué votre redoublement de tristesse à un redoublement d’amour, qu’elle en est outrée, & que pour vous en punir elle n’attend que d’en être plus sûre. Elle vient de m’en écrire ; elle tentera tout pour obtenir cet aveu de vous-même. Elle ira peut-être, me dit-elle, jusqu’à vous proposer Danceny pour époux ; & cela, pour vous engager à