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exempt des défauts de son âge, & que malgré le ton du jour, il montre un goût pour la bonne compagnie qui fait augurer favorablement de lui : mais qui sait si cette sagesse apparente, il ne la doit pas à la médiocrité de sa fortune ? Pour peu qu’on craigne d’être fripon ou crapuleux, il faut de l’argent pour être joueur ou libertin, & l’on peut encore aimer les défauts dont on redoute les excès. Enfin il ne serait pas le millième qui aurait vu la bonne compagnie, uniquement faute de pouvoir mieux faire.

Je ne dis pas (à Dieu ne plaise !) que je croie tout cela de lui : mais ce serait toujours un risque à courir ; & quels reproches n’auriez-vous pas à vous faire, si l’événement n’était pas heureux ! Que répondriez-vous à votre fille, qui vous dirait : « Ma mère, j’étais jeune & sans expérience ; j’étais même séduite par une erreur pardonnable à mon âge ; mais le ciel, qui avait prévu ma faiblesse, m’avait accordé une mère sage, pour y remédier & m’en garantir. Pourquoi donc, oubliant votre prudence, avez-vous consenti à mon malheur ? était-ce à moi à me choisir un époux, quand je ne connaissais rien de l’état du mariage ? Quand je l’aurais voulu, n’était-ce pas à vous à vous y opposer ? Mais je n’ai jamais eu cette folle volonté. Décidée à vous obéir, j’ai attendu votre choix avec une respectueuse résignation ; jamais je ne me suis écartée de la soumission que je vous devais, & cependant je porte aujourd’hui la peine qui n’est due qu’aux enfants rebelles. Ah ! votre faiblesse m’a perdue… » Peut-être son respect étoufferait-il ces